Bornes électriques : le gouvernement fait-il preuve d’ambition pour la mobilité durable ?
Mi-février, le gouvernement a annoncé par la voix de son ministre délégué aux Transports, Jean-Baptiste Djebbari, l’allocation d’une enveloppe de 100 millions d’euros pour développer les bornes de recharge rapide sur autoroutes. Ce coup de pouce est positif, mais reste très loin des enjeux environnementaux et de mobilité qui sous-tendent cette politique. L’objectif de disposer d’un réseau national de 100 000 bornes à la fin de cette année, toujours affiché par le gouvernement, semble quant à lui s’éloigner.
 
Le gouvernement affiche sa volonté d’accélérer le déploiement des bornes de recharge rapide sur les grands axes routiers. Un décret, paru il y a un mois au Journal officiel, instaure ainsi une aide de 100 millions d’euros pour les sociétés installant des bornes de recharge sur les autoroutes installateurs et opérateurs d’installations de recharge pour véhicules électriques, concessionnaires d’autoroute, concessionnaires ou sous-concessionnaires d’aires de services.
 
« D’ici la fin 2022, les aires de services seront toutes équipées en bornes de recharge très rapide », a annoncé à l’AFP le ministre délégué aux Transports, Jean-Baptiste Djebbari. Ces 440 aires devront comporter au moins quatre bornes ou points de recharge, « dont au moins deux bornes de 150 kW permettant une recharge en moins de 20 minutes », précise le ministre. Sachant qu’aujourd’hui, seules 140 aires de services d’autoroutes sont équipées en bornes de recharge. « Les stations seront financées en moyenne à 30 %, et même à 40 % dans certaines situations spécifiques ». De plus, « cette aide sera cumulable avec la prise en charge à 75 % des coûts de raccordement au réseau, mise en place par la loi d’orientation des mobilités ».
 
Cette enveloppe de 100 millions d’euros vient s’ajouter aux 100 millions d’euros d’aides pour équiper les villes (voiries, parkings publics, parkings privés des commerces et entreprises, copropriétés) et l’ensemble du territoire en bornes de recharge, à travers le renforcement du programme Advenir.
 
Le gouvernement français s’est montré ambitieux en fixant en octobre 2020 un objectif de 100 000 bornes électriques dans l’Hexagone d’ici la fin 2021. Mais au dernier pointage de l’Avere-France, l’association nationale pour le développement de la mobilité électrique, on recensait en France, en février 2021, quelque 31 200 points de recharge disponibles pour le grand public. Il y a donc urgence ! Car le développement du réseau de recharge est indispensable à l’essor de la mobilité électrique. Le parc automobile français de véhicules électriques et hybrides rechargeables progresse rapidement et pourrait dépasser le million d’unités en 2022, mais il faut que les infrastructures de recharge suivent.
 
L’objectif des 100 000 bornes fin 2021 ne sera pas atteint
 
Le gouvernement a-t-il réellement décidé de changer de braquet ? Ou s’agit-il de simples effets d’annonce ? On peut légitimement se demander si les moyens mobilisés sont vraiment à la hauteur des ambitions. Que pèse en effet une ou deux enveloppe(s) de 100 millions d’euros face au plan « magistral » à 2,5 milliards d’euros déployé par l’Allemagne ? Dans le cadre de son plan de relance économique de 130 milliards d’euros, notre voisin d’Outre-Rhin a décidé de consacrer 5 milliards à l’automobile, dont un total de 2,5 milliards pour la production de batteries et le développement des bornes de recharge. Le gouvernement allemand exige que toutes les stations-service soient équipées de bornes de recharge rapide d’ici à 2022. Un « plan directeur » doit être mis en œuvre rapidement, il prévoit d’intensifier le nombre de points de charge ouverts au public mais aussi de mettre en place un « système de paiement uniforme ».
 
En France, malgré l’implication des collectivités territoriales et de plusieurs entreprises privées – filière automobile, grande distribution, sociétés d’autoroutes, acteurs de l’énergie, etc. –, de nombreux observateurs semblent penser que l’objectif des 100 000 bornes de recharge d’ici à fin 2021 ne sera pas atteint. Selon les journalistes spécialisés du Figaro, « malgré les déclarations volontaristes du gouvernement et l’enveloppe fraîchement débloquée de 100 millions d’euros d’aides, le maillage du pays ne sera pas aussi dense que prévu ». En 2020, le nombre de points de recharge publics n’a d’ailleurs progressé que de 8 %, alors que la croissance atteignait 30 à 35 % entre 2015 et 2019, selon l’Avere.
 
« Qu’il soit atteint ou non, cet objectif mobilisera tous les acteurs de l’écosystème de la mobilité électrique et permettra ainsi d’augmenter significativement le nombre de points de recharge dans un contexte où de nombreux projets ont été bloqués par la crise sanitaire et les confinements. Ensuite, plus que la quantité, c’est la qualité du réseau de recharge qui doit primer, et là-dessus des progrès sont en cours », a ainsi déclaré Cécile Goubet, déléguée générale de l'Avere-France, actant ainsi, à mots à peine voilés, que l’objectif ne sera pas atteint.
 
La qualité et la rentabilité en question
 
De plus, pour l’instant, la qualité du réseau de recharge n’est pas optimale. Selon une étude menée par OpinionWay pour l’Afirev, 85 % des possesseurs de voitures électriques auraient déjà rencontré une borne en panne. Et à peu près autant ont subi un problème lié à la charge au cours des six derniers mois (arrêt soudain, connexion impossible, etc.). Par ailleurs, une borne de recharge publique sur quatre présenterait des défauts et pas moins d’une borne sur dix aurait été indisponible pendant sept jours consécutifs au cours des six derniers mois, rendant plus que problématique l’accès à la recharge.
 
Bornes de recharge mal entretenues, voire hors-service, faibles puissances (la moitié du réseau date d’avant 2017), grands « vides » dans le maillage de certaines régions… Les longs trajets en véhicule électrique restent aujourd’hui aléatoires et anxiogènes. Et l’incapacité à effectuer le plein d’électricité en itinérance est le principal frein au développement de la voiture électrique comme premier véhicule du foyer. Aujourd’hui, 90 % des recharges s’effectuent à domicile ou sur le lieu de travail, et seulement 10 % sur le domaine public – 5 % en itinérance sur les autoroutes et les routes nationales.
 
Le chemin pour installer les quelque 70 000 bornes manquantes d’ici la fin de l’année paraît encore long et semé d’embûches... Et l’investissement nécessaire estimé à 500 M€. Les bornes les plus puissantes nécessitent en effet des investissements substantiels : jusqu’à 100 000 €, voire plus, pour une borne ultrarapide à 350 kilowatts, selon l’Avere. Et la rentabilité de ces équipements reste incertaine. Les sociétés d’autoroutes dénoncent ainsi une « absence de modèle économique » pour les opérateurs de bornes sur autoroute tant que les automobilistes n’utiliseront pas l’électrique pour leurs longs trajets.
 
L’exigence d’interopérabilité est également un vrai défi. La remise à niveau technique (rétrofit) d’une grande partie des bornes installées avant 2017 est un chantier incontournable pour assurer la qualité du réseau en itinérance. Dans ce contexte, les investissements consentis par l’Etat pour développer le réseau de bornes de recharge vont à l’évidence dans le bon sens, mais se révèlent finalement très insuffisants par rapport aux vrais enjeux. Le gouvernement doit aller plus loin et s’inspirer de bonnes pratiques de ses voisins s’il veut être au rendez-vous de la mobilité durable.