Oberthur Fiduciaire, imprimeur français de billets de banque depuis trois décennies mènent un combat acharné pour devancer les contrefacteurs de billets de banque, un combat qui nécessite surtout de garder une longueur d’avance dans la continuelle course technologique avec le grand banditisme, doté parfois de moyens considérables. Focus sur des billets qu’on n’imaginerait pas objet d’autant d’attentions.


Photo: Oberthur Fiduciaire
Photo: Oberthur Fiduciaire
Un phénomène qui perdure mais de façon limitée

« Notre métier a ceci de particulier que nous ne devons pas seulement conserver une longueur d’avance sur nos concurrents mais également sur les contrefacteurs et les faux-monnayeurs contre lesquels nous sommes engagés dans une véritable course de vitesse ». explique Thomas Savare, DG d’Oberthur Fiduciaire (1). Avec raison : plusieurs dizaines d’officine de faux-monnayage sont démantelées en Europe chaque année, dont certaines en France (2). Il ne s’agit pas toujours de grandes organisations criminelles, et les profils des contrefacteurs sont très divers : de la mafia internationale travaillant à échelle industrielle, à l’étudiant ou la mère de famille faisant avec les « moyens du bord ».

Une grande partie des billets en euros contrefaits en Euros provient d’Italie : « La mafia italienne est l'un des premiers fournisseurs de billets falsifiés en Europe », selon des sources judiciaires (3). Mais les pays de l’Est ne sont plus en reste désormais et ont rapidement intégré les ressorts de l’économie de marché : pays des Balkans, Lituanie ou Pologne sont des provenances de plus en plus récurrentes lors des saisies. Les faux billets ne sont pourtant pas très nombreux en circulation : « c’est à la marge par rapport à l’ensemble de la monnaie fiduciaire. On estime qu’il y a 700 000 faux billets présents sur la zone euro. La France représente entre 30 et 40 % des émissions », explique Corinne Bertoux, chef de l’Office central pour la répression du faux-monnayage (4). A lui tout seul, un atelier-laboratoire de contrefaçon fiduciaire récemment démantelé aurait produit près de la moitié de ce total, soit « plus de 9 millions d'euros en 350 000 faux billets de 20 et de 50 euros » selon l’office spécialisé de la police judiciaire (5). Sur le premier semestre 2014, la BCE annonce (6) ainsi avoir retiré moins de 350 000 billets contrefaits (sur 16 milliards de billets en circulation), soit 0,00002 %.

A défaut du vol, la tentation de la contrefaçon

La dématérialisation des moyens de paiements et la sécurisation croissante des acteurs bancaires ont fait diminuer drastiquement le nombre de vols de billets. Pour autant il n’est pas encore question de se passer des billets. « Le billet en effet n’est pas exposé aux mêmes risques qu’une monnaie exclusivement virtuelle. Il cumule les avantages de la haute technologie dont il est un concentré avec la robustesse et la résilience héritée de ses lointaines origines », écrit ainsi Oberthur Fiduciaire dans une chronique sur l’histoire de la monnaie (7). Mais la tentation du vol physique de billets de banque est en train de passer de mode, au « bénéfice » des fraudes virtuelles entre autres. Témoin de cette tendance, le nombre de braquage de banques est en constante diminution : « Selon les statistiques de l’Office central de lutte contre le crime organisé (OCLCO), le nombre de vols à main armée contre les agences bancaires a baissé de près de 45 % entre 2012 et 2013 » (8). Une tendance à rebours des chiffres des tentatives contre les petits commerces, mais avec une conséquence logique : les « butins » des braquages sont devenus dérisoires. Voler des billets en agences bancaires n’est plus « rentable », économiquement et judiciairement parlant. En apparence moins risquée, car moins exposée, la contrefaçon de billets de banques nécessite par contre de lourds investissements en infrastructures.

Moyens des faussaires contre technologies de protection

« L’impression fiduciaire et de sécurité est une activité industrielle à très fort contenu technologique. Certes, la monnaie papier existe déjà depuis des siècles mais les billets d’aujourd’hui n’ont presque plus rien de commun avec ceux de jadis ni même avec ceux mis en circulation voici quelques années. Ce sont de véritables condensés de technologie et le fruit d’une innovation permanente », martèle le DG d’Oberthur Fiduciaire (1). Embossage dynamique, impression taille douce, fluorescente, héliogravure, flexographie, holographie, irisation, transvision… Le vocabulaire des imprimeurs de billets tient du langage vernaculaire. Les multiples brevets  d’Oberthur Fiduciaire témoignent des investissements réalisés en R&D. Tout évolue constamment ou presque sur les billets : de l’encre au papier, en passant par les formats ou les motifs. La nouvelle série des billets en euro inaugure d’ailleurs un certain nombre de nouveaux dispositifs destinés à compliquer encore plus la tâche des contrefacteurs, dont le filigrane qui fait son grand retour.

En face, la concurrence tente de s’équiper, et elle ne manque pas d’atouts : scanner haute définition, impression numérique, impression 3D... Si la course technologique tient tout le monde en haleine, c’est aussi parce que les technologies que détenaient exclusivement certains industriels sont désormais à la disposition du grand public. Les faux monnayeurs profitent surtout désormais de la facilité avec laquelle ils peuvent écouler leurs « marchandises » : à l’aide de Tor et de sites du « darknet », les faux monnayeurs vendent désormais leurs faux billets en ligne, se faisant payer en bitcoins, et sans prendre les risques inhérents à la phase distribution. « C'est un phénomène en expansion, les délinquants le savent et pas uniquement pour ce qui est de la fausse monnaie », analyse l'Office central pour la répression du faux monnayage (9). Ces moyens techniques expliquent un nombre de billets contrefaits en circulation globalement constant : bien qu’ils soient de plus en plus durs à contrefaire, les faux billets sont désormais nettement plus faciles à distribuer, ce qui incite les fabricants faux-monnayeurs à prendre des risques. Mais pas plus qu’il ne sera possible d’interdire les imprimantes et scanners aux particuliers, il ne sera jamais possible de contrôler Internet. Pendant ce temps, la course continue.
 
(1) http://www.carnetsdubusiness.com/RDV-avec-Thomas-Savare-CEO-d-Oberthur-Fiduciaire_a516.html
(2) http://www.huffingtonpost.fr/2012/06/14/plus-grande-fabrique-faux-billets-france-demantelee-police_n_1595701.html
(3) http://www.leparisien.fr/faits-divers/paris-saisie-de-60-000-eur-en-faux-billets-fabriques-par-la-mafia-italienne-19-03-2014-3686817.php#xtref=http%3A%2F%2Ftempsreel.nouvelobs.com%2Ffaits-divers%2F20140321.OBS0735%2Fla-mule-transportait-60-000-euros-en-faux-billets.html
(4) http://www.20minutes.fr/societe/953715-20120614-demantelement-fabrique-faux-billets-seine-et-marne-son-but-premier-emettre-maximum-billets
(5) http://www.lemonde.fr/societe/article/2012/06/14/demantelement-de-la-plus-grande-fabrique-de-faux-billets-de-france_1718016_3224.html
(6) http://www.ecb.europa.eu/press/pr/date/2014/html/pr140718.fr.html
(7) http://www.journaldeleconomie.fr/Billets-pour-longtemps-le-moyen-de-paiement-le-plus-pratique-et-le-plus-sur-5-5_a1594.html
(8) http://www.cbanque.com/actu/47531/beaucoup-moins-de-braquages-agences-bancaires-en-2013
(9) http://www.europe1.fr/faits-divers/il-se-fait-livrer-par-colis-des-faux-billets-commandes-sur-internet-2278761