Regroupements, fusions, partenariats, rachats… L’économie sociale et solidaire semble bien s’être emparée des vocables de la stratégie traditionnellement employés dans les coulisses des multinationales du conseil. Or, à rebours de certaines idées reçues, les entreprises de l’ESS obéissent aux mêmes règles de développement que toute autre. Leur philosophie, par contre, n’est pas tout à fait la même.


L’ESS a l’heure des stratégies de croissance
Bien loin de l’image d’Épinal, L’ESS ne regroupe pas uniquement des associations de bénévoles. Certains acteurs de l’ESS pèsent plusieurs milliards d’euros, en termes de chiffre d’affaires, preuve que l’éthique solidaire peut rimer avec monde des affaires.

Un contexte législatif et social propice aux regroupements

L’Accord National Interprofessionnel, signé en début d’année entre les pouvoirs publics et les partenaires sociaux, a notamment donné le coup d’envoi de grandes manœuvres de regroupements dans le secteur des mutuelles, pilier historique de l’ESS. En novembre 2013, le groupe Covea accueillait ainsi la mutuelle SMI afin de se positionner au mieux pour les remaniements à venir sur le marché de la complémentaire santé. « L’affiliation de SMI à la SGAM vient conforter la capacité de Covéa à se positionner comme un acteur significatif en santé et prévoyance collective. Disposant d’une entité courtage et d’un portefeuille conséquent d’entreprises de taille intermédiaire, SMI complète les orientations stratégiques et la croissance volontariste de MMA sur les marchés Professionnels et Entreprises », indique Thierry Derez, président de Covéa. Avec à cœur de conserver son éthique mutualiste sur un métier spécifique -contrats collectifs et profils de salariés atypiques- la Mutuelle SMI va désormais bénéficier de l’assise financière du groupe Covéa, en appui de sa stratégie propre de développement. Mais le secteur des mutuelles, bien qu’aiguillonnée par l’ANI et la Loi sur la Sécurisation de l’emploi de juin 2013, n’est pas la seule à juger les rapprochements utiles.

L’union fait la force…
Malgré l’image déplorable que le secteur traine avec quelques motifs depuis 2008, certaines banques appartiennent aussi au secteur de l’ESS. Et toutes ne sont donc pas à loger à la même enseigne. En plus du contexte social existant depuis 2013, le contexte économique depuis la fin des années 1990 a lui aussi initié un certain nombre de rapprochements.

La Banque Populaire a par exemple assuré la gestion et la supervision de nombres de banques coopératives tout au long du XXe siècle. Mais en 1998, le groupe coopératif prend le contrôle de la banque d’affaires Natexis. Elle se transforme en Natixis suite à sa fusion avec Ixis en 2006, banque d’investissement elle-même rachetée à la Caisse de Dépôts et Consignations, par une autre banque coopérative : la Caisse d’Épargne. Et le mouvement ne s’arrêtera pas là puisqu’en 2007, Charles Milhaud, à l’époque Président de la Caisse d’Épargne, déclarait  : « Il a été convenu [avec les Banques Populaires Ndlr], lorsque nous avons créé Natixis, que chacun des deux réseaux conservait sa liberté d'action dès lors que celle-ci n'allait pas à l'encontre des intérêts de notre filiale commune. Quant à Natixis, il a vocation à se développer sur ses métiers et à réaliser des acquisitions significatives, que l'on peut estimer supérieures à 2 milliards d'euros ».

Les banques coopératives se développent donc même en dehors du champ de l’ESS. La crise des subprimes viendra mettre un frein pour un temps aux ardeurs des investisseurs, mais les mouvements se poursuivent, dans la logique d’un « grand mouvement de restructuration du secteur bancaire engagé en France et en Europe », selon Alternatives Economiques. Le Crédit Agricole, après entre autres le rachat du Crédit Lyonnais devenu depuis LCL, deviendra ainsi la deuxième banque française.

…Jusque dans le secteur des associations

Pour une entreprise capitalistique ou une banque traditionnelle, les stratégies déployées ont la plupart du temps pour but avoué de conforter une position ou de conquérir des parts de marché. Le but étant toujours de consolider un résultat économique, d’engranger des bénéfices et de rémunérer des salariés.

Mais même une association caritative composée de bénévoles peut se prévaloir d’une stratégie. On ne parle pas de conquête de marchés, mais d’étendre son action. Souvent, il ne s’agit pas tant de conquérir une clientèle que de se faire connaître des personnes nécessiteuses. Mais la logique de développement est similaire. L’association « Rheso », pour « ressource hébergement solidarité », qui propose des solutions d’accueil et d’hébergement de publics en difficultés, est ainsi née en 2008 du regroupement de trois associations très différentes. « Dans le contexte actuel, une certaine taille est nécessaire pour se développer, avoir des moyens d’analyse et aller de l’avant. Et puis c’est l’occasion de mutualiser nos complémentarités, et de profiter des richesses de chacun », résume Rémy Bertaud, directeur de Rheso. Il ajoute : « on ne peut donner des chances de réussite à une fusion de ce type que dans la mesure où l’on prend son temps, et où l’on associe bien l’aspect de la politique associative et l’aspect technique ». Des propos que ne renierait aucun PDG de multinationale coopérative.

Mais les associations manquent souvent de conseils et d’expérience, raison pour laquelle de plus en plus d’initiatives fleurissent pour encourager les coopérations et les rapprochements. Le CIDES (Chorum Initiative pour le Développement de l’Economie Sociale a ainsi mis à disposition depuis octobre 2013 un guide intitulé « Association & fusion : mariage d'amour ou de raison ? ». Malgré une résilience saluée et encouragée par les pouvoirs publics, L’ESS reste un secteur fragile sur certains aspects. Tout est donc bon à prendre pour « durcir » encore le secteur face aux aléas économiques.