La désindustrialisation continue en France. Ce mouvement semble implacable. Des centaines de sites de production sont fermées. Des dizaines de milliers d’ouvriers ont perdu leur emploi. Des régions entières ont connu la disparition des industries qui structuraient autrefois leur économie. Fin mai 2011, la suppression de deux tiers des 450 de l’équipementier automobile MBF Technologies à Saint-Claude dans le Haut-Jura. Cette fois il s’agit d’un événement historique car cette vague régionale d’industrialisation a balayé le dernier reliquat d’un groupe né dans cette même cité après la Seconde Guerre mondiale.


Le bilan la désindustrialisation est alarmant : l'industrie nationale a perdu près de deux millions d'emplois en trente ans, tandis que sa part est passée de 30% à 20% dans le PIB.
Faut-il alors accepter comme inévitable cette mort annoncée de notre industrie et se contenter du statut de la plus grande destination touristique, connue pour ses vins, ses fromages et son patrimoine architectural exceptionnel ? Où faut-il plutôt combattre ce phénomène à travers la modernisation de nos usines, l’innovation de nos capacités de production et la créativité de nos ingénieurs, qui ont fait connaître mondialement la France comme la patrie de « Concorde » ou du TGV?

Quand l'industrie française brille à l'international
L’industrie lourde, incubateur de nouvelles idées…

Car c’est précisément notre industrie lourde qui est devenue l’incubateur de nouvelles idées, le laboratoire qui fait naître les projets technologiques les plus audacieux, et le secteur qui innove le plus en Europe et dans le monde. Ce n’est pas un hasard si c’est le constructeur d’automobile PSA Peugeot-Citroën qui a été le groupe français qui a enregistré le plus de brevets en 2010 (1152), tandis que parmi d’autres leaders du top 20 du classement des entreprises qui ont déposé le plus de brevets, figurent le groupe Renault et autres groupes industriels. Par ailleurs, avant encore d’être nommée au FMI, Christine Lagarde, le ministre de l’Economie de l'époque, remarquait en mars 2011 : "Les entreprises françaises, de toutes tailles, font des efforts importants pour maintenir et accroître les niveaux de compétitivité et d'attractivité de la France".

Notre industrie lourde, qui a souvent dans la presse l'image surannée de métiers en perte de vitesse, connaît pourtant un véritable boom. Les fleurons de l’industrie française et européenne tels Airbus ou Alstom développent depuis des années des projets structurants pour l’avenir de notre économie et à fort contenu technologique.

Ces belles réussites s’expliquent essentiellement par une politique active d’innovation. Toutefois, comme l’expliquent les spécialistes du secteur, il s’agit des « innovations silencieuses », qui s’inscrivent dans les projets de longue durée et qui paraissent moins visibles et moins révolutionnaires en raison des spécificités de cette branche et les cycles de production qui rythment son activité. Les innovations sont rigoureusement testées avant d’être appliquées, car dans les transports et le secteur de l’armement, la sécurité des usagers prédomine. Dans l’industrie lourde, au lieu de « révolutionner », les innovations transforment silencieusement, à la chinoise, notre vie. Et pour preuve...

Le cas Airbus

Le meilleur avion du monde – l'A-380, qui incarne une remarquable réussite de l’avionneur européen face à son concurrent de longue date Boeing, est une véritable success story. Airbus a bâti sa réussite sur son excellence technologique. Et même si les performances techniques et économiques sont prédominantes chez l'avionneur, le fabriquant se soucie également du respect de l’environnement, de sa proximité des citoyens et des consommateurs, et de la facilité de l’exploitation de ses appareils.

La réussite économique et technologique de l’A380 a démontré que l’Europe peut offrir les meilleures compétences en matière d’innovations, qui ont été rassemblées et intégrées pour réaliser un objectif commun, réunissant les efforts de plusieurs pays-membres de l’UE. Elle s’explique également par une intense coopération entre les ingénieurs et les chercheurs motivés et hautement qualifiés. Parmi les nouvelles solutions technologiques figure une introduction massive de matériaux composites, ce qui a permis de réduire davantage le poids de l’appareil et la consommation du carburant. L’A380 est l’avion le plus économique et respectueux de l’environnement jamais construit, et assure un niveau de sécurité encore inégalé. Depuis 30 ans, la part des pièces composites sur Airbus est passée de 3% sur les premiers modèles jusqu’à près de 25% sur l’A380. Plus précisément, parmi les innovations majeures de l’A380:caisson central de voilure en fibre de carbone et partie supérieure de fuselage en ‘glare’, avionique intégrée et modulaire, circuits hydrauliques à 5000 psi, génération électrique à fréquence variable, nouveaux concepts de systèmes d’information et de maintenance embarqués, actuateurs électro-hydrauliques...

Les entreprises de taille intermédiaire moteur en matière d’innovation

Autre exemple éloquent, celui du discret groupe CNIM (Constructions Industrielles de la Méditerranée). Le groupe est spécialisé dans le développement, la conception et la réalisation des ensembles industriels à fort contenu technologique. Il est présent dans les domaines de l’environnement, de l’énergie, de la défense et de l’industrie. Quoique moins connu qu’Airbus, CNIM (3000 collaborateurs dont 40% d’ingénieurs, très présent à l'international) excelle à son niveau. Il est entre autres considéré comme le leader européen dans la vente clés en main de centre de valorisation énergétique des déchets (waste to energy plants). Par exemple, son expertise a été sollicitée dans les régions du Moyen Orient et de l’Afrique du Nord où CNIM rivalise avec des concurrents venant du monde entier.

En 2008, le groupe a acquis Bertin Technologies afin de renforcer sa composante "ingénierie". Mais cette capacité d’innovation existait déjà au sein de CNIM. Parmi les innovations intéressantes de CNIM, on peut citer le Pack Opti-Steam qui a permis de révolutionner l’exploitation des chaufferies. La nouvelle approche connue comme « la chaufferie globale » intègre un produit (le système de superposition MAE BW 720) et un service (le nouveau contrat de maintenance) qui a permis aux industriels d’optimiser leurs chaufferies. Ce système de pilotage à distance des chaufferies intègre donc également les nouvelles technologies de l’information. Son succès s'explique par le fait que cette solution a un retour sur investissement inférieur à un an. Elle a été plébiscitée par des clients industriels tels EDF/Danisco à Melle car elle simplifie les opérations, économise l’énergie et réduit les charges d’exploitation. Ainsi, CNIM contribue à sa façon à la lutte contre la pollution et inscrit son action ainsi que l’activité de ses clients dans le développement durable. Le groupe a également mis sur le marché la nouvelle gamme de brûleurs au rendement bas – NOx, et a proposé de nouvelles solutions dans le domaine de la destruction des odeurs par oxydation thermique.

Tout comme Airbus, CNIM stimule sa politique d’innovation, en améliorant sa productivité et tout en restant soucieuse du un respect de l’environnement. Grâce à sa politique d’innovation soutenue, le groupe est devenu incontournable sur sa niche, et internationalise depuis des années ses activités. La filiale du groupe, Bertin Technologies (qui innove dans plusieurs segments prioritaires, dont la défense, l'énergie nucléaire, les sciences du vivant, l'environnement et la santé) a constitué un capital de brevets et réussi à développer des produits à fort potentiel de croissance.

Au final il apparaît que la désindustrialisation n’est ni évitable, ni universelle. Des pans entiers de l’industrie se portent bien, en investissant massivement dans la R&D et en misant continuellement sur les innovations. « Innover ou disparaître », tel devrait être désormais le mot d’ordre des dirigeants qui souhaitent pérenniser leur activité dans un contexte de mondialisation et de concurrence exacerbée.