Incomprise, voire critiquée à ses débuts, l'alliance Renault-Nissan apparaît aujourd'hui comme un véritable modèle réussi de coopération économique, stratégique et financière. Derrière cette success-story se cachent néanmoins des soucis plus ou moins majeurs, que le groupe tente de résoudre.


Quelle stratégie désormais pour le couple Renault-Nissan ?
Un pari osé

En mars 1999, la constitution de l'alliance Renault-Nissan, sous forme de participations croisées entre les deux constructeurs, étonne le monde de la finance et du secteur automobile. À cette époque, la situation économique des deux partenaires n'est guère reluisante. D'un côté, la firme japonaise, malgré une production de 2,4 millions de voitures, croule sous d’énormes dettes de 2,4 trillions de yens, soit environ 18,3 milliards d'euros au taux actuel. La marque au losange peine en même temps à rayonner au niveau international, une condition pourtant incontournable pour grandir dans l'industrie automobile.

Vu le contexte, l'alliance des deux groupes était perçue comme un pari osé, presque perdu d'avance aux yeux de nombre d'observateurs. Ces derniers ont apparemment sous-estimé le charisme de Carlos Ghosn, qui a concrétisé les rêves de ceux qui l'ont placé à la tête de l'alliance. À savoir, rétablir les finances de Nissan, optimiser les synergies diverses à tous les échelons, améliorer la marge opérationnelle du groupe via des économies d'échelles de grande envergure et conforter l'image des deux marques à l'international.

En 2013, tous ces objectifs, ou presque, sont atteints par l'alliance. Le constructeur japonais réussit à renflouer ses dettes des 2003 et fait désormais partie des enseignes automobiles les plus rentables du globe avec une marge de 11 %. L'alliance a également réalisé 2,3 milliards d'euros de synergies en 2012. Le groupe se hisse en même temps à la quatrième place des ventes de voitures dans le monde, avec 8,1 millions d'exemplaires livrés, derrière Volkswagen, GM et l'inamovible Toyota. Et que dire de Nissan, devenu premier vendeur de véhicules électriques au monde depuis maintenant deux ans ? Sur le plan purement économique, l'alliance franco-japonaise est un franc succès.

Des incertitudes naissantes

Des doutes sur la solidité du couple Renault-Nissan sur le long terme commencent néanmoins à être soulevés. Dirigeants et observateurs s'inquiètent notamment du fossé de plus en plus grand qui sépare Renault et son partenaire nippon sur le plan financier. Quand Nissan continue d'étendre sa présence sur les marchés internationaux – Amérique du Nord, Amérique latine et Asie —, la marque au losange, elle, reste cantonnée sur le Vieux-Continent. Résultat, les ventes de la marque nippone en 2012 atteignent presque le double de celles de son binôme français, avec 4,94 millions d'unités vendues contre 2,55 millions pour Renault. En Bourse, l'écart est encore plus marqué : Nissan pèse presque trois fois plus que son partenaire en termes de capitalisation.

Avec un fossé financier grandissant entre Nissan et Renault, l’alliance ne pourra pas tenir très longtemps et Carlos Ghosn le sait très bien. Lui, qui aspirait à faire de la marque au losange le meneur de l'alliance, se trouve désormais devant un partenariat bilatéral déséquilibré, où le constructeur japonais devient le maillon fort. Vu la santé financière de l'enseigne nippone, on est en droit d'anticiper une sortie de Nissan de l'alliance tôt ou tard. Empêcher un tel éclatement fait partie des priorités du dirigeant franco-libano-brésilien. Pour y parvenir, plusieurs options s'ouvrent au patron de l'Alliance.

Rééquilibrage, consolidation et coopérations

Les analystes évoquent en premier lieu le rééquilibrage des parts de participations croisées des deux enseignes dans le groupe. La part de Renault dans Nissan, qui s'élève actuellement à 44 %, pourrait être ainsi ramenée à 33 %, tandis que le constructeur japonais maintiendra le contrôle des 15 % de la marque au losange. Une telle solution, même si elle affaiblit le poids de Renault dans le groupe, générerait autour de 8 milliards d'euros de cash pour la firme française. Le constructeur pourrait investir ces liquidités dans le développement de modèles positionnés dans les segments les plus en vogue – crossover, berline, etc. — et se mettre ainsi à la hauteur de son allié.

Une alternative, prônée par Carlos Ghosn et ses conseillers, consiste à renforcer les liens industriels entre les deux enseignes, depuis la phase de R&D jusqu'à la production. L'Alliance prévoit d'ores et déjà de doubler les synergies d'ici 2016. Le groupe ambitionne de réaliser plus de 4 milliards d'euros d'économies d'échelles cette année-là, via la généralisation des plateformes communes et la mutualisation des chaînes d'approvisionnement. En 2012, les deux partenaires se sont partagé 12 % des pièces automobiles, en valeur, et environ 60 % des moteurs. Ces proportions devraient monter respectivement à 30 % et 80 % dans trois ans. Le développement du concept CMF ou « Common Module Family » va également dans ce sens. Cette architecture modulaire optimise la productivité des sites des deux groupes, tout en préservant la différenciation des marques sur une même plateforme d'assemblage.