Les grandes entreprises sont trop nombreuses à penser qu'en consacrant une part infime de leur CA au financement d'actions caritatives, elles revêtiront l'habit d'entreprise solidaire. Le vrai combat de la responsabilité sociale se mène au quotidien, au plus près du terrain. Ce combat est un chantier de chaque instant: celui qui consiste à bâtir un modèle de gouvernance économique différent et plus juste. Et si on arrêtait de poser des rustines sur une roue déjà maintes fois crevée? Et si on acceptait enfin que la vraie responsabilité sociale, c'est cultiver le mieux-être et abolir la précarité?


Les grands patrons face à leur responsabilité sociale
«Un instrument de mesure est indispensable pour que le développement durable soit autre chose que de la communication », soulignait Henri de Castries, le PDG d’Axa, lors d’une conférence. Cette demande est judicieuse tant, en matière de responsabilité sociale des entreprises, il y a celles qui en parlent et celles qui agissent. Pourtant le sujet s’y prête. Trois dimensions sont mises en avant : l’organisation interne de l’entreprise et ses rapports avec ses partenaires, l’environnement et les relations sociales. Les entreprises, en France, sont motivées à la pratiquer – ou communiquer autour – car, depuis la loi NRE de 2001, toutes les sociétés cotées doivent décrire dans leur rapport annuel l’impact environnemental et social de leur activité. De plus, elles sont également confrontées à une pression considérable venue de leur environnement social; qu’il s’agisse des organisations non-gouvernementales mais aussi de simples consommateurs et citoyens, tous sont devenus beaucoup plus exigeants sur l’impact de l’activité économique en matière environnementale et sociale. Mieux, de grands fonds réputés comme Calpers, le plus puissant au monde, qui gère les retraites des enseignants de Californie, choisissent désormais d’investir dans une entreprise au regard de données économiques et financières, certes, mais également selon des critères éthiques.

Aussi, les dirigeants d’entreprise ne s’y sont pas trompés et, depuis une dizaine d’années, ils multiplient les déclarations et les réalisations de bonne conduite. Lafarge mène des campagnes de prévention du sida en Afrique. Sanofi lutte contre le paludisme. Vinci réduit les nuisances sonores et utilise des matériaux légers sur les chantiers. Jean-Paul Agon, PDG de L’Oréal, développe l’idée de la responsabilité à 360°. Elle est tournée évidemment vers les actionnaires du groupe. Mais pas seulement. « Notre première responsabilité est envers les consommateurs à qui nous devons fournir des produits de qualité efficace et sûrs. La deuxième responsabilité, c’est par rapport à nos collaborateurs, c’est leur assurer bien-être et épanouissement au travail », indique-t-il, dans un entretien. « Il n’est plus possible pour une entreprise, surtout si elle propose des biens de grande consommation, de ne pas tenir compte de son impact sur les parties prenantes, en particulier dans les pays émergents », souligne Franck Riboud, PDG de Danone. Celui-ci a mis en place un système interne original de mesure de la responsabilité sociale, le « Danone Way », auquel sont soumis plus de 90 % du groupe et sur lequel sont indexés en partie les bonus des managers.

Cependant, dans ce panorama de la responsabilité sociale des entreprises, il est un domaine qui reste sérieusement à la traîne : c’est celui du social. Rares sont les entreprises qui se battent pour sauver des emplois en France plutôt que de délocaliser. C’est le cas notamment d’Optic 2000. Il est vrai que le projet de cette entreprise de vente d’optique lui prêtait à se tourner vers la responsabilité sociale. En effet, Optic 2000, coopérative fondée sur la libre adhésion des opticiens, ressort du secteur de l’économie sociale. De cette histoire, elle a construit un projet de responsabilité sociale extrêmement ambitieux : passer de la solidarité sociale à la solidarité économique. « Optic 2000 mène des actions dans différents pays en voie de développement. Nous sommes présents au Burkina Faso, en Mauritanie pour aider les enfants à retrouver une meilleure vision. Mais nous avons décidé de nous battre pour développer des emplois en France », souligne son secrétaire général, Yves Guénin. Optic 2000 lance des appels d’offres auprès de la lunetterie française et impulse une redynamisation de l’économie du secteur de l’optique en maintenant plus de lignes de production sur le territoire. Le groupe est un créateur d’emplois en France. « Optic 2000 a créé près de 5000 postes dans l’Hexagone. A plus long terme, nous sensibilisons le consommateur sur le produit « made in France » et nous nous battons pour favoriser l’intégration de lunettes fabriqués ici », insiste Yves Guénin. C’est peut-être un exemple à suivre pour le développement de la responsabilité sociale des entreprises alors que l’emploi est la préoccupation première des Français. La première responsabilité des entreprises ne s'assume pas à l'autre bout du monde. Elle s'assume d'abord au plus près, sur le territoire national, auprès de celles et de ceux qui travaillent. Car renoncer à externaliser à l'étranger pour accroître ses marges, et faire un choix délibéré porté sur le social et la qualité, c'est souvent compliqué. Davantage que de faire un don annuel au profit de multiples causes quelconques, aussi nobles soient-elles. Qui a dit que la responsabilité sociale, c'était la facilité?